Moi,
j’avais entendu parler de cette histoire, mais il a fallu que
je démêle tout ça pour comprendre.
Nous sommes en 1733. A cette époque St John se disait St Jaan
et l’île était Danoise.
Donc ça s’est passé en 1733, le 23 novembre exactement,
ici même, devant les tables à pique-nique, ce panorama
et cet éclairage magnifique de fin de journée.
Ce soir là, tout pète, les Akwamus se révoltent
et cassent les chaudrons. Pourquoi ce jour là ? On n’en
sait rien. Il y avait bien eu un fort cyclone en juillet, suivi d’une
invasion terrible d’insectes. Il y avait surtout eu un code répressif
du marronnage particulièrement cruel et inhumain. De l’alcool
aussi, qui fait chauffer les esprits et il y en avait beaucoup et qui
faisait des ravages.
En tous cas ce soir là, commence ici une des premières
et une des plus importantes révoltes d’esclaves. St Jaan
est une île sans relief élevé, la pluie est rare,
elle est donc pauvre, peu productive. Les esclaves, entre un et deux
milliers, travaillent beaucoup déjà pour leur propre subsistance.
Ils sont encadrés par quelques misérables petits blancs,
des condamnés et déportés non libres, qui servent
d’encadrement ou de kapos selon. Quelques petits planteurs blancs,
danois ou hollandais et une garnison dans un fort à Coral Bay,
un peu plus loin, comprenant en tout et pour tout six gardes.
Les Maîtres et leurs familles vivent sur l’île voisine
de St Thomas où ils s’occupent de commerce et de la traite,
activités autrement plus lucratives que la culture de la canne
et du coton. St Jaan est donc une île livrée à elle-même,
sans morale, sans justice, où la loi du plus fort s’exerce,
et où l’alcool et la violence font des ravages.
Pour comprendre, il ne faut pas regarder ce monde comme d’autres
regardaient les poissons tout à l’heure. Ce monde là
n’est pas gentil « so poors but so nice », c’est
un monde compliqué et cruel où la misère a engendré
la toute puissance de la saloperie.
J’ai dit, les Akwamus se sont révoltés. Les esclaves
Akwamus venaient de Guinée. Il se considéraient comme
nobles, guerriers et marchands et par le passé avaient tiré
grand profit de la traite. Car ce sont eux qui par le passé détenaient
le monopole de la déportation des esclaves de l’intérieur
vers la côte, où ils les livraient à la tribu des
Accras associés aux Danois sur la côte de Guinée.
Les Akwamus devenus riches, puissants, armés, avaient attaqué
et conquis les Accras en 1677.
Un peu plus tard, les Akwamus après la mort de leur roi en 1725,
avaient été écrasés à leur tour et
vendus comme esclaves.
En 1730, ils sont arrivés sur St John avec une mortalité
en mer normale de 50%. Il n’y avait pas que de bons souvenirs
les concernant. Car à St Jaan ils retrouvent une partie de ceux
qu’ils avaient vendus, Accras, et les Aminas vendus pour travailler
dans les mines Portuguaises de la côte des Accras .
Les Akwamus ne se résolvent pas à leur condition d’esclaves,
et vite, soit partent s’installer en marrons dans le maquis ou
bien cherchent à asservir les autres tribus comme ils l’avaient
fait enGuinée.
Beaucoup d’Aminas et d’Accras pour leur échapper
se réfugient également dans la montagne eux aussi en Marrons.
Il y avait donc sûrement beaucoup de tension dans les groupes
ethniques et ça faisait beaucoup de monde dans la montagne.
Pour lutter contre le marronnage, et retrouver une bonne production
sur l’île, le gouverneur à St Thomas institue un
code répressif particulièrement dur et cruel. Le marronnage
est puni de torture aux fers rouges suivie d’exécution.
Bref le 23 novembre, c’est la révolte, les chaudrons sont
cassés. Il y a un leader : le chef Akwamu : « King June
» et d’autres meneurs, «Kanta», «King
Bolombo», « Prince Aquashie » «Breffu ».
Derrière eux, des centaines d’esclaves se révoltent
ce jour là.
Ils s’emparent du fort de Coral bay, tuent cinq gardes, le sixième,
John Gabriel réussissant à monter dans un canot à
voile pour aller donner fissa l’alerte à St Thomas. Dans
le fort, les rebelles brûlent le pavillon, tirent trois coups
de canon. C’est le signal pour massacrer les petits blancs dans
les plantations.
L’idée des leaders Akwamus est de régner sur St
John, les autres tribus travaillant pour eux à la production
de sucre.
Il faut savoir que dans cette révolte, une partie de ceux qui
avaient des souvenirs de Guinée, ne se révoltèrent
pas, restèrent neutres ou prirent le parti des blancs qui à
tout prendre leur semblaient présenter une meilleure espérance
de traitement.
Une reprise partielle de l’île fut effectuée assez
rapidement par un détachement de St Thomas.
A la suite de laquelle les Akwamus et ceux qui les avaient suivis furent
contraints de vivre en marrons et de mener une guérilla incessante,
ne serait que pour leur subsistance.
Il fallait absolument stopper tout ça, qui risquait d’avoir
valeur d’exemple pour les îles voisines.
Le gouverneur de St Thomas, ne disposait pas des forces nécessaires
pour mâter la révolte.
Il fit donc appel à ses voisins anglais de Tortola qui s’y
cassèrent les dents à deux reprises notamment lors d’une
tentative de débarquement à Leinster Bay. Alors, on envoya
un émissaire négocier de l’aide avec la France,
au Domaine Royal de la Martinique. Le Gouverneur s’appelle Jean
Charles de Bochard.
Il y a justement dans la baie de Fort de France deux bateaux chargés
de quelques centaines d’hommes de troupes. Le premier, commandé
par le Chevalier de Longueville, et l’autre par un certain monsieur
Nadau chargé de troupes Suisses, c'est-à-dire sans doute
de toutes sortes de rastaquouères. L’affaire est négociée
par une assurance de la neutralité du Danemark dans le conflit
entre Français et Anglais et dans un autre différent avec
la Pologne, plus un peu d’argent, et un arrangement sur l’île
de Ste Croix.
Après trois jours de navigation, cap au Nord Ouest vent portant,
le 23 Avril 1734, soit six mois après le début de l’insurrection,
les deux bateaux Français ancrèrent dans la baie et se
livrèrent au rétablissement de l’ordre, c’est-à-dire
à que l’on pourrait appeler aujourd’hui une épouvantable
ratonnade dans la montagne.
Il fallait faire des exemples, il y en eut. La répression de
la révolte fut abominable.
Les meneurs repris furent torturés au fer rouge, démembrés,
brûlés à petit feu, les femmes empalées.
Sur la plage à côté de Leinster Bay, après
le départ des Français on retrouva vingt-cinq corps torturés,
zigouillés, là, dans le parc naturel, aujourd’hui
au milieu des planches à voiles et des pédalos, dans le
paysage de carte postale.
Un mois après son arrivée, le 26 mai 1744, l’ordre
étant rétabli, le Chevalier De Longueville et Monsieur
Nadau peuvent lever l’ancre et remettre le cap au Sud-est sur
la Martinique. Et pouvoir rendre compte de la mission accomplie au Gouverneur,
Jean Charles de Bochard, marquis de Champigny.
Il y aura d’autres révoltes
sur St John, et notamment en 1840 une évasion massive avec
un bateau volé ici même à Leinster Bay. Ce n’est
que sous la pression constante qu’en 1849 les esclaves obtiennent
leur émancipation. Leur sort n’en fut pas amélioré
pour autant avant les années 1920.
Voilà, les choses se sont
entremêlées dans cette journée de navigation aux
îles Vierges, « paradis aujourd’hui » mais
les paysages sont habités par leur mémoire.
Et nous F?M?, nous croyons aux traces et savons voir la main tendue
de désespoir devant un pédalo, car nous savons qu’il
existe un fil, un lien qui relie le temps, les choses et les évènements.
Le sentier des hommes, comme la trace des frères qui nous ont
précédés.
Je crois qu’il est temps de
changer de mouillage car tout ceci donne soif.
J’ai
dit
|