Colonne d'Harmonie

Chevalier de Saint-George - Concerto pour violon - Allegro

Quatre concertos pour violon, 1ère mondiale, 200ème anniversaire. Je ne me doutais pas en achetant le disque de cet inconnu que j'allais découvrir un personnage aussi extraordinaire. Pensez donc. La personnalité parisienne musicale de cette 2ème moitié du XVIIIème siècle : adulé par le public, l'aristocratie, la Cour, la Reine, le Roi et surtout par ses pairs. Poète, violoniste virtuose, chef d'orchestre, compositeur. Il jouait partout. Escrimeur, la plus fine lame européenne. Son portrait figurait dans toutes les salles d'arme du Continent. Il était aussi à l'aise en équitation qu'en natation. Premier Franc-Maçon noir initié au GODF. 1er Colonel noir de l'Armée révolutionnaire française. Vous conviendrez qu'il mérite bien que nous passions quelques minutes avec lui.

Leclair

Gossec

Le « FAMEUX » Chevalier de Saint-George, Joseph Boulongne ou Boulogne pour l'État Civil est né le 25 décembre 1739 de l'amour passionné de la plus belle esclave de la Guadeloupe et d'un riche colon.
Il a la chance d'être emmené à l'âge de dix ans en France par son père, où il reçoit l'éducation réservée aux seuls fils d'aristocrates. En pension chez la Boëssiere, le meilleur maître d'arme de France qui l'initie à la littérature, à l'escrime et à l'équitation au Manège de l'Académie Royale.
C'est au contact de Monsieur de La Boëssiere que ce SURDOUÉ acquiert le gant pour le sérieux, la rigueur et le travail.

Parallèlement il continue à étudier la musique, violon et composition, avec deux des plus réputés de l'époque, deux francs-maçons, Leclair et Gossec.

Dès l'âge de 15 ans, il est l'un des meilleurs à l'escrime. Il est plus noir que blanc, il est beau, grand (1, 80 m) ce qui était rare à l'époque.
Son allure, sa force, son élégance, sa gentillesse, son intelligence et son humour le font remarquer par les Parisiens.
Il impressionne les foules en traversant la Seine à la nage au mois de janvier, un bras attaché dans le dos. A 20 ans, il triomphe des meilleurs escrimeurs d'Europe. Ses amis le surnomment « l'Américain » et le comparent au célèbre violoniste virtuose italien Tartini.

Gossec l'appelle d'abord comme 1er violon puis comme chef de l'orchestre des amateurs.
Saint-George, en s'entourant des plus riches mécènes, des meilleurs musiciens, et au prix d'un travail acharné (12 répétitions de plus de deux heures chaque semaine, fait de cette formation la meilleure d'Europe et la plus grande (80 musiciens). Saint-George admiré par la vivacité et la précision de sa direction est consacré par ses pairs.

The original Goose and Gridiron inn sign

En effet à cette époque, il n'y avait pas de « conducteur ». Il faut dire un mot sur l'organisation de la musique au XVIIIème siècle. L'on s'ennuyait à mourir à l'Opéra avec les lourdeurs des musiques de Lully et les effets savants de Rameau. Il existait une véritable dictature de la musique dès 1672. Lully avait fait octroyer à l'Académie Royale de Musique (c'est à dire l'Opéra qu'il dirigeait) un droit de veto sur toute musique exercée en public. Il fallait l'autorisation du Roi ou des musiciens eux-mêmes. Lully n'a jamais autorisé de son vivant une autre musique que la sienne.
Le public aspirait aux musiques italiennes. Petit à petit s'est forgée l'idée que l'on pouvait contourner cette loi en organisant des concerts privés. Les quatuors envahissent les salons. Les concerts se font par souscription dans des salles privées.
L'exemple est venu de l'Angleterre qui utilisait des sociétés maçonniques écran comme la célèbre auberge « L'oie et le gril » dont le nom représentait avec humour et allégoriquement : le gril = les cordes, et l'oie = les vents ­ le cou de l'oie = cornet.

Voilà notre Nègre propulsé à la Cour de Versailles pour parfaire l'éducation musicale de Marie-Antoinette. Saint-George est tellement populaire que Louis XVI le propose comme directeur de l'Opéra. Deux cantatrices sur le retour et craignant la concurrence s'y opposent en écrivant au Roi que « leur honneur et leur délicatesse ne leur permettraient jamais d'être dirigées par un mulâtre. »
Le faible Louis XVI répondra « Ce sera Saint-George ou rien » et malgré le soutien de Marie-Antoinette, ce ne sera rien.

Car c'eût été un aveu de faiblesse de penser que l'on ne puisse pas trouver un français pour ce rôle. Même Voltaire ne se révoltera pas. Ses préjugés raciaux étaient bien connus et l'abbé Grégoire déclarait « Voltaire ne se serait jamais abaissé à défendre un noir à moins que celui-ci n'ait été victime d'un juif »

Et pourtant Monsieur Arrouet devint le F.'. de Saint-George quelques années plus tard. Saint-George a été initié à la Loge des 9 Soeurs dès 1773, année de création du GODF. C'est le seul cas connu d'un franc-maçon mulâtre dans une Loge parisienne au XVIIIème siècle.
Son initiation a vraisemblablement été opérée clandestinement, avec un sac sur la tête comme dignitaire royal. Son nom ne figure sur aucun livre d'Architecture. Il n'apparaît sur aucun Tableau de Loge. L'initiation d'un sang mêlé n'allait pas de soi à l'époque. Les Loges des Colonies font la chasse aux F.'.F.'.qui convolent avec des négresses. Le GODF laisse faire mais se montre plus tolérant en France. En 1781, une Loge de Barbezieux initie des métis mais en même temps le GODF accepte l'existence de Loges composées uniquement d'armateurs et de négociants esclavagistes. Pire, le 21 mai 1781, un navire baptisé « Le Franc-Maçon » appareille du Havre pour aller chercher une cargaison d'esclaves au Sénégal. Personne ne reprochera non plus au F.'.Mozart d'avoir incarné dans « La Flûte Enchantée » le mal absolu dans la peau d'un noir, Monostatos, violent, violeur, traître et veule. Si cet opéra est maçonnique, il faut bien constater que le Maure constitue cependant un symbole suspect.

Brissot

Pourtant, une bonne partie des membres de la société « Les Amis des Noirs » qui sera créée en 1787 par Brissot sont francs-maçons. Ils appartiennent principalement à trois Loges : Le Contrat Social, L'Olympique de la Parfaite Estime et la Loge des Neuf Soeurs, les trois ateliers dont Saint- George a été membre.
Une fois levé l'obstacle de la couleur de la peau, comment notre métis aurait-il pu ne pas être franc-maçon ?

Maçonnerie et musique vivent en symbiose à l'époque. Les deux tiers des musiciens F.'.M.'.recensés en deux siècles ont vécu dans cette 2ème moitié du XVIIIème siècle. Héritage des Loges militaires, seuls les instruments à vent ont droit de cité dans les Loges. La clarinette devient l'instrument maçonnique par excellence. Les F.'.F.'.violoncellistes ou violonistes doivent apprendre à jouer d'un autre instrument. Comme le célèbre virtuose violoniste Kreutzer qui apprit spécialement la clarinette. Les F.'.F.'.musiciens sont tellement recherchés par les Ateliers Maçonniques qu'ils sont dispensés de capitation et d'assiduité pourvu qu'ils répondent présent dans les grandes occasions. La Loge des Neuf Soeurs comprend 30 musiciens sur 248 Maçons. On les appelle les Francs-Musiciens. Ils circulent dans toute l'Europe pris en charge par les Loges, comme les cayennes pour les Compagnons.
C'est une révolution en musique, aussi c'est la fin de la starisation et le triomphe de la collégialité par la symphonie concertante où quelques instruments se répondent sans souci de l'accompagnement. Les musiciens peuvent donner libre cours à leur créativité dans un respect réciproque. C'est l'annonce des « boeufs » du Jazz 150 ans plus tard.
Il y a chez tous ces musiciens francs-maçons un besoin de transmettre du Maître à l'Apprenti. Le F.'.Gossec invente même la mixité dans son École de Musique. Les filles n'avaient pas accès à la musique sans la tutelle de l'Église.
Dans la seconde moitié des années 70 les faillites se succèdent chez les financiers. Tous n'en meurent pas mais tous sont frappés. Les finances du riche concert des amateurs se mettent à tanguer dangereusement. En 1781, la Société des Concerts dont Saint-George est toujours le directeur doit
fermer, au sommet de sa gloire.
Les Francs-Musiciens avec Saint-George à leur tête reprennent le flambeau et fondent une Loge « L'Olympique de la Parfaite Estime » érigée en société musicale à la mode anglaise. On ne peut en faire partie qu'en étant Franc- Maçon. Les Francs Olympiens comptent 29 administrateurs financiers ou aristocrates, 450 abonnés qui paient pour assister ou jouer et 35 associés libres, exclusivement musiciens d'autres Loges. Cet orchestre a un succès fou et joue, souvent devant plus de mille spectateurs, les musiques de tous les grands compositeurs de l'époque, tous F.'.M.'., Glück, Haydn, Mozart, Gossec et bien sûr Saint-George dont les musiques sont jouées dans toute l'Europe.

Mehul

La Loge « L'Olympique » est un étonnant patchwork de fermiers généraux, banquiers, conseillers d'État, la noblesse de robe, les représentants des grandes familles comme le duc de Chartres, sérénissime Grand Maître du GODF, futur Duc d'Orléans en 1875 et d'authentiques roturiers comme les célèbres musiciens Devienne, Mehul ou Viotti un des plus grands violonistes du moment.

Viotti

. L'Olympique s'est adjoint une Loge d'adoption de 120 femmes toutes de haute noblesse. Et beaucoup plus surprenant, le Tableau de Loge laisse apparaître 3 soeurs mais dans la Loge de l'héritier de la couronne et de surplus Grand Maître du GODF rien n'est surprenant.
Cependant les critères d'adoption sont la fraternité, les qualités de l'instrumentiste et sa capacité d'adaptation à l'orchestre. Tous les musiciens jouent, roturiers ou non, vêtus comme des nobles en habits brodés, avec manchette en dentelle, l'épée au côté signe de noblesse ; qu'ils habitent dans un hôtel particulier ou dans une mansarde.
Saint-George a été pris en affection par le Duc d'Orléans, son épouse Madame de Montesson et leur fils le Duc de Chartres, Philippe Égalité. Le Duc d'Orléans entraîne régulièrement son protégé dans des voyages en Angleterre et les disparitions de plus en plus fréquentes de Joseph de Boulogne intriguent la société parisienne.

Assaut d'Armes donné à Carlton House entre la Chevalière D'EON DE BEAUMONT, et le chevalier DE SAINT-GEORGE en la présence de son Altesse le Prince de Wales, la Noblesse et plusieurs Célèbres Maîtres d'Armes.

Le charisme de Saint-George en fait rapidement une Diva coqueluche de la société londonienne. Le Prince de Galles (fils de Édouard III, futur Édouard IV) lui fait même croiser le fer avec le Chevalier d'Éon le 8 avril 1787 devant toute la gentry londonienne, les meilleurs maîtres d'armes d'Europe venus
spécialement et sous la présidence du prince héritier.

Dès la prise de la Bastille, Joseph de Boulogne s'engage à corps perdu pour la révolution. Il crée un régiment de noirs et de mulâtres « La Légion de Saint- George » pour combattre les Autrichiens et les émigrés. Il participe à la libération de Lille et devient le premier Colonel noir de l'armée française, celui qui arrête les troupes de Dumouriez envoyées sur Paris après sa trahison pour rétablir la monarchie.

Joseph de Boulogne s'embarque alors pour Saint-Domingue afin d'aider Toussaint-Louverture et quelques mois plus tard après avoir repris la musique, surpris par la maladie, notre homme meurt le 10 juin 1799 à 60 ans à Paris

Toussaint-Louverture

Celui que l'on appelait le Chevalier de Saint-George connaîtra une deuxième mort le 25 mars 1802 lorsque Napoléon décidera de rétablir l'esclavage aboli en 1796 par la Convention. Plus question alors de reconnaître qu'un noir, ravalé au rang de bétail, puisse composer de la musique. Saint-George est impitoyablement rayé des répertoires. Une nuit de deux siècles commence. Je suis heureux, mes F.'.F.'., de participer à son réveil.
J'ai dit.