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INSOLITE

 

Colonne d'Harmonie

Rondo pour harmonica de verre, flûte, hautbois, alto & violoncelle en do majeur KV 617

Si pour le 250ème anniversaire de sa naissance, je vais vous parler de MOZART, malgré le battage médiatico-commercial qui caractérise notre époque de consommation, c’est simplement pour partager quelques interrogations avec vous.
Il paraît que plus on avance dans la connaissance, moins on a l’impression de savoir. C’est exactement ce qu’il m’arrive avec notre F.'. MOZART.
J’ai intitulé ma planche « MOZART INSOLITE » . Pourquoi ?
Lorsque l’on étudie sa personnalité, sa vie, son comportement, les pistes sont toujours brouillées. Il est plus qu’insolite, je dirais qu’il est inclassable.
C’est un pavé mosaïque à lui tout seul.
Les livres écrits sur lui ne se comptent plus, nous disposons de sa propre correspondance, plus de deux milles lettres échangées avec son père, plus des milliers de lettres le concernant.
A travers tour cela, voyons d’abord à quoi ressemblait notre personnage.
Sa sœur Maria-Anna dite « Nannerl », la quatrième des sept enfants de Léopold et Anna-Maria MOZART, de quatre ans l’aînée de Wofgang, le décrit ainsi :

« Mon frère fut un enfant assez joli, mais depuis quelques années, la grâce de l’enfance a quitté ses traits. Son visage s’est alourdi, s’est épaissi. Il fut à 14 ans défiguré par la petite vérole, et pis, il revint d’Italie avec le teint jaune des Italiens. Il est petit, 1,63 m, à la fois frêle et massif, ses yeux sont légèrement exorbités par la myopie. Une malformation de l’oreille gauche, la fameuse oreille de MOZART, l’empêche de porter des lunettes. Ses lèvres sont lippues, son nez épais, et pour couronner le portrait, la maladie dont il a souffert, une craniosténose a déformé son crâne en produisant un front proéminent, exagérément grand. Aucune grâce, aucune classe ne se dégage de sa personne ».
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Bien au contraire, on peut dire qu’il est franchement laid. Mais il est cependant difficile de l’affirmer car sur tous les portraits exécutés de son vivant, il n’en est pas deux qui se ressemblent.
Première interrogation : comment ses parents ont-ils pu générer un fils aussi laid, alors qu’ils étaient considérés tous les deux comme le plus beau couple de Salzbourg ?
Deuxième interrogation : comment Mozart tel qu’on nous le décrit a-t-il pu être un séducteur ?
Certes, il n’était pas le Don Juan de son opéra, mais il a toujours eu ce que l’on pourrait appeler un tranquille succès auprès de ces dames.
Autre fait insolite, notre personnage, nous l’avons vu, souffrait d’une craniosténose qui est une ossification précoce des os du crâne, comprimant le cerveau et ayant pour conséquence, très souvent, une arriération mentale quand ce n’est pas une débilité.

Comment son cerveau comprimé a-t-il pu échapper à une dégénérescence ?
Comment Mozart a-t-il pu être un surdoué de la musique, un enfant prodige ?

Je ne vais pas vous faire une planche sur l’inné et l’acquis, mais si l’on s’accorde à dire que les capacités d’un individu résultent du produit des deux, il faut bien admettre que Mozart a touché le jackpot des deux côtés.
Les enfants d’aristocrates et de bourgeois, à cette époque, n’étaient que très rarement élevés par leurs parents (d’où le faux procès à J .J. Rousseau). Les enfants étaient le plus souvent confiés à des nourrices avec plus ou moins de bonheur.
Mozart lui a eu la chance de tomber dans la marmite de la musique dès sa vie intra-utérine.

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Léopold, son père, vice Kappelmeister de Salzbourg, et professeur de clavecin et violon, ainsi que sa sœur, jouaient toute la journée. Et lorsque ni l’un ni l’autre ne jouait, c’étaient des élèves qui le faisaient.
Léopold était un pédagogue réputé pour son talent. Il était d’ailleurs l’auteur d’une méthode d’apprentissage du violon qui lui a survécu très longtemps.
Sa « Symphonie des Jouets », longtemps attribuée à Haydn, est toujours jouée. Il a transmis à Wolfgang la rigueur, l’application et beaucoup d’amour.
Très vite, il a décelé les facultés d’assimilation de son fils sur tous les sujets. Les sciences, la géographie, le grec, le latin, l’italien, le français et les mathématiques étaient très appréciés par Wolfgang.
Léopold en s’occupant de l’éducation de ses enfants s’est vite rendu compte qu’ils étaient surdoués. Il leur inculque les principes fondamentaux de la musique et s’émerveille de la virtuosité de Nannerl au clavecin.

Wolfgang est tout le temps dans les jupes de sa sœur qu’il adore.
A trois ans, il passe son temps à rechercher des tierces au clavecin, jouissant des sons harmonieux qu’il obtient en poussant des cris de joie.
A quatre ans, il connaît déjà tous les morceaux de sa sœur.
Léopold note avec un soin méticuleux ses progrès dans un cahier.
Je le cite : « Ce menuet et ce trio ont été appris par Wolfgang en une demi-heure, le 26 janvier 1761, un jour avant sa cinquième année, à 21 heures 30 ».

 

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Maigre et de santé délicate, Wolfgang est d’une sensibilité presque maladive. Ainsi, il ne peut supporter le son de la trompette ni même sa vue. Un jour, un ami de son père, trompettiste à la cour, sort son instrument et se met à jouer. L’enfant pâlit et s’évanouit.
Dans le moindre jeu, il s’accompagne de musique. A cinq ans, le gamin écrit déjà de petites pièces.
« Jamais il ne fallait le contraindre pour composer ou pour jouer », racontera Nannerl. Au contraire, il fallait le distraire, autrement il serait resté jour et nuit à composer ».
Avec son père, la relation est idyllique.
A sept ans, il a l’oreille absolue. L’oreille absolue est la capacité de reconnaître un son en disant de quelle note il s’agit sans le repère d’une autre note.
Je ne saurais pas dire si cette oreille absolue est innée ou acquise, mais en tout cas très peu de musiciens l’ont, et de toutes façons, on ne sait pas comment faire pour l’acquérir.
S’il a baigné dans un environnement optimum pour devenir musicien, que penser de son cerveau comprimé par cette craniosténose ?
Malgré la découverte très tardive du crâne de Mozart, son enterrement dans une fosse commune ne permet pas l’analyse de son cerveau.
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Le professeur Bernard LECHEVALIER, neurologiste et organiste, titulaire de l’église de CAEN, a publié un livre très savant sur le cerveau de Mozart.
Le point de départ de cette étude est le fameux Miserere d’Allegri.
En 1770, pendant leur voyage en Italie, Léopold et Wolfgang assistent à une exécution de cette œuvre dans la chapelle Sixtine au Vatican.

Il était absolument interdit de faire sortir cette œuvre du lieu sacré, sous peine d’excommunication.
Comment Mozart en ayant entendu cette œuvre d’une quinzaine de minutes, à neuf voix, le matin, a-t-il pu la mémoriser, et la retranscrire le soir même parfaitement, sans faute, sans variation ni rature ?
Le secret des Papes est dévoilé. Face au Jugement Dernier de Michel-Ange, Mozart a reçu la grâce. Le Pape Clément XIV pense que c’est un miracle et le nomme Chevalier dans l’Ordre de l’Éperon d’Or, le 4 juillet 1770, "pour la transcription du Miserere d’Allegri et pour s’être fait remarquer depuis sa plus tendre enfance par les plus douces sonorités du clavier ».
« Comment Mozart a-t-il pu mémoriser cette œuvre » est le point de départ de l’étude savante du professeur LECHEVALIER.

En résumé, cette capacité est difficilement explicable. Elle fait appel aux mémoires, à court, moyen et long termes, par accumulation de connaissances musicales et théoriques et d’un répertoire fabuleux pour un jeune homme de 14 ans.
On ne peut par parler de Mozart sans parler des voyages.

En moins de 36 ans d’existence, Mozart a voyagé plus de dix ans. Léopold a promené ses deux enfants d’un bout à l’autre de l’Europe, comme des animaux savants, dans des conditions épuisantes qui mirent, à plusieurs reprises, Wolfgang en péril.
De nos jours, on a peine à imaginer ce que pouvait être un voyage en cette deuxième moitié du XVIIIème siècle, surtout pour les gens sans fortune.
Les routes sont faites en terre, empierrées dans le meilleur des cas. Les pavés ne se rencontrent qu’à l’approche des plus grandes villes. En hiver, les fondrières sont nombreuses et les ruptures de roues et d’essieux sont fréquentes, laissant les voyageurs en pleine campagne dans les intempéries avant qu’un charron ne vienne réparer (par kilomètres parcourus, les accidents mortels étaient beaucoup plus nombreux que maintenant).
Les Mozart sont pauvres, et ne possèdent que rarement une voiture personnelle. Chaque déplacement est un monde différent, calèche, parfois berline fournie par un mécène. Et c’est pareil pour le logement, très hasardeux. Sans compter les attaques de brigands.
Les fatigues de la route, l’inconfort des gîtes, le surmenage et les exhibitions constituent un régime qui ne sera pas sans effet sur sa croissance et la brièveté de sa vie.
Il faut noter que Mozart avait une faculté d’abstraction extraordinaire, il composait dans sa tête en roulant.
Premier opéra à douze ans : « Bastien et Bastienne ».
Ses voyages lui permettent d’appréhender et de s’imprégner de toutes les musiques à la mode dans les lieux traversés, et de se frotter à tous les plus grands musiciens de l’époque, surtout dans les capitales.
A Londres, Johann-Christian Bach lui fera connaître la musique de son père J.S. Bach, de Haendel, mort seulement depuis 5 ans.
Il connaîtra aussi Joseph Haydn, qui sera, toute sa vie durant, son meilleur ami.
Après une tournée d’enfant prodige triomphale dans toute l’Europe, et s’étant produit devant les rois et princes, Johannes Christostomus Wolfgangus Theophilus (Gottlieb en allemand) est appelé AMADEUS par les Italiens. Ce qui veut dire la même chose, mais est quand même, il faut bien le dire, plus agréable à l’oreille.

Tous ses voyages, ses expériences extraordinaires ont forgé une personnalité naturellement cosmopolite, humaniste et ouverte.
V.A.M. devient le creuset d’influences diverses. Il parle le latin, le grec, l’italien, le français, un peu l’anglais et bien sûr l’allemand.

Sa musique est une œuvre de synthèse. Il faut noter qu’il n’est pas autrichien bien qu’étant né à Salzbourg. Il est allemand. L’Allemagne n’existait pas encore politiquement, elle faisait partie du Saint-Empire Romain Germanique, un vaste ensemble hétéroclite d’environ 350 états. L’Autriche n’existait pas encore non plus. C’est aussi une confédération d’états qui englobe les possessions des Habsbourg, royaumes de Bohême, de Hongrie, d’Autriche, la Tchéquie, la Slovaquie, certaines parties de la Pologne, de la Roumanie, de l’ex-Yougoslavie et de l’Italie.
A la tête du Saint-Empire Germanique, l’Empereur est désigné par 9 électeurs laïcs et ecclésiastiques, protestants et catholiques.
Cette charge n’était pas héréditaire, il fallait l’appui du Pape.
Cet empire était sans pouvoir puisqu’il n’empêchait même pas ses états membres de se faire la guerre.

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Mozart père et fils étaient donc des sujets du Prince Archevêque de Salzbourg, d'abord SCRATTENBACH et ensuite VON COLLOREDO, qui avait à la fois le pouvoir temporel et spirituel.
Ces princes traitent les musiciens comme des serviteurs, ce qui est dans la norme de l’époque.
Les démêlés de Léopold et surtout de Wolfgang avec COLLOREDO, pour effectuer des tournées et échapper à cette tutelle rigoureuse, tiennent une grande place dans la correspondance de Mozart.
Les musiciens de cour sont considérés comme des domestiques. Ils doivent par contrat avoir un comportement exemplaire, porter la livrée, manger à la table du personnel en cuisine. Certains contrats exigent le cumul de travail de musicien avec celui de valet de chambre.
Le Kappelmeister est en fait le patron de la musique, un domestique chargé de composer de la musique sur commande pour le prince qui garde un droit de regard sur la reproduction des œuvres.
Il doit composer des musiques religieuses, messes, vêpres, etc… les musiques de table, d’ambiance, de danse, jusqu’aux morceaux d’étude pour le prince musicien.
Il est chargé de l’entretien des instruments, de faire répéter et diriger l’orchestre, et bien sûr de s’entraîner pour être le meilleur soliste. Son emploi du temps est minuté.

Mozart n’est que Concertmeister. C’est dire qu’il ne faisait que composer et il n’en pouvait plus. Il supportait uniquement pour des raisons alimentaires et parce que son père était employé de Colloredo.
Un incident va renforcer le ressentiment que Mozart nourrit à l’égard de son maître.
Colloredo lui refuse de participer à un concert de bienfaisance au profit des œuvres des veuves et orphelins de Vienne. C’est une chance pour lui de toucher le grand public.
Colloredo pressé par l’aristocratie finit par donner son autorisation et Mozart y remporte un extraordinaire succès.
Le retour à Salzbourg approche. Wolfgang paraît résigné mais un nouvel affront déclenche tout.
Colleredo lui demande de rapporter un paquet. Mozart refuse net. Passe encore qu’on le prenne pour un domestique… mais pas pour un déménageur.
La minceur de l’incident est évidente, mais il en profite pour provoquer la rupture.

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Mozart le raconte ainsi : « D’un seul trait, il me lança que j’étais l’être le plus dissolu qu’il connaissait, que personne ne le servait aussi mal que moi, que je ferais bien de partir aujourd’hui, sinon il ferait supprimer mon traitement. Je ne pouvais placer un mot, il rugissait comme un incendie… Il m’appelle pouilleux, gueux, imbécile.
Finalement la moutarde me monta au nez et je dis :
- Ainsi votre Grâce n’est plus contente de moi ?
- Ah ! il ose me tenir tête cet imbécile. Voilà la porte. Je ne veux plus rien avoir à faire avec un pareil vaurien.
A quoi, je répliquais :
- Ni moi avec vous, vous aurez ma démission par écrit dès demain. »

Et d’après les témoins, un coup de pied aux fesses mémorable couronne la rupture.

Cette rupture fracassante se produit le 9 mai 1781, date importante de l’histoire de la musique.
C’est la conquête de la liberté, de l’indépendance par le compositeur. C’est l’apparition de l’artiste moderne.
Le musicologue anglais GIRDLESTONE y voit avec une pointe d’humour britannique, « LE 14 JUILLET DES MUSICIENS ».
Cela ne s’était jamais vu et demande beaucoup de courage, voire d’inconscience car Mozart ne sait pas encore le prix qu’il lui faudra payer en échange de sa liberté.

Puisque l’on parle de payer et puisque la légende veut que Mozart ait vécu pauvrement et soit mort dans la misère, voyons ce qu’il en est exactement.
Dès son enfance, durant les tournées de concert organisées dans toute l’Europe par son père, Mozart rapportait de l’argent à sa famille. Parfois une montre ou une tabatière, mais aussi 1200 livres (10 000 euros) offerts par Louis XV en 1764, ou 130 guinées (20 800 euros) offerts à Londres. Lors de leur voyage en Italie, 15 000 euros.
A partir de 1772, première période de rémunération stable. 150 florins annuels (3000 euros).
En 1777, insatisfait, il part chercher fortune à MUNICH, MANNHEIM et PARIS ; c’est un fiasco. Il revient à SALZBOURG et à partir de sa rupture avec Colloredo qui est aussi la rupture avec son père, son seul maître après Dieu, il obtient ainsi une double liberté.
Il va lui falloir maintenant s’assumer complètement puisqu’il va fonder un foyer avec Constance WEBER qui lui donna 6 enfants en 9 ans.
Il fut un bon mari et un bon père, mais un piètre gestionnaire.
En fait, il n’a pas vécu dans la misère, hormis les deux dernières années de sa vie.
Il gagnait beaucoup d’argent mais en dépensait souvent plus. C’était un flambeur.
Pendant les dernières années de sa vie à VIENNE, il a déménagé 18 fois au gré des entrées et sorties d’argent.
Si Mozart avait vécu sous notre régime de droits d’auteur, la SACEM évalue ses gains annuels à environ 20 millions d’euros .
Les héritiers de RAVEL ont touché pendant des années dix millions de francs par an. Or ce musicien est dix fois moins écouté que Mozart.
Pour DON GIOVANNI, il aurait touché 14 000 euros.
Seule lui rapportait la vente des partitions aux éditeurs de musique.
Il toucha 10 000 euros pour les 6 quatuors dédiés à HAYDN.
Le compositeur ne pouvait obtenir de rétribution que s’il jouait ou dirigeait sa musique.
En 1791, ses concerts donnés au profit de la noblesse lui rapportèrent 20 000 euros. Ses leçons de piano, 500 euros par mois, multiplié par 8 élèves.
A partir de 1787, il devint musicien impérial et son salaire était de 16 000 euros par an, alors que GLUCK, son prédécesseur en touchait 3 fois plus.

Au total, durant ses années viennoises, Mozart aurait gagné environ 120 000 euros par an, alors qu’un instituteur en gagnait 300, et qu’une servante en gagnait 12, nourrie, logée, il faut bien le dire.
En fait, il n’a jamais construit une fortune, mais vous voyez qu’il ne vivait pas dans la misère non plus.

Il souffrait d’une instabilité due sûrement à sa jeunesse de saltimbanque. Il déménageait dans des lieux disproportionnés avec ses ressources. Il avait de nombreux domestiques et voulait paraître l’égal des aristocrates qu’il fréquentait et avec lesquels il n’a plus, croit-il, de lien de subordination. Il donne des bals dans ses appartements. Certains disent qu’il perd aux jeux, d’autres qu’il entretient des danseuses. Rien n’est prouvé et comme on dit trivialement, il pétait dans la soie.
Les dettes s’accumulent, il commence à emprunter à ses amis, à ses frères maçons, mais toujours avec dignité. Ses plus proches amis comme HAYDN ne sont pas au courant.
Les dernières années de sa vie, sa musique n’est plus à la mode. Il a englouti les sommes qu’il a gagnées.

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Constance est très malade. Les médecins coûtent très cher. Elle est obligée d’aller à BADEN, cure thermale à la mode et très chère. Il faut bien tenir son rang.
Sur les six enfants, seuls deux ont survécu, FRANZ et KARL.
Nous avons vu au début de cette planche à quoi ressemblait Mozart physiquement. Mais on ne peut pas parler de cet homme sans parler de son caractère.

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Ce qui apparaît de plus fort chez lui, c’est sa puissance de travail et sa capacité d’abstraction. Il était dans un autre monde. Il travaillait tellement que parfois il tombait sans forces et qu’il fallait le transporter sur son lit. Parfois, à force d’écrire, il ne pouvait plus jouer de piano.
Il pouvait travailler n’importe où, notamment en voiture, pendant ses voyages. La plus vive agitation n’arrivait pas à le troubler. Et même quand il était absorbé au plus haut point, il était toujours souriant et de bonne humeur.

Par contre, il n’a aucun doute sur la supériorité de son talent. Son orgueil le poussait dès son enfance à ne jouer devant des auditeurs que s’ils étaient de grands connaisseurs, ou alors il fallait le tromper en les faisant passer pour tels.
Il disait à son père : « C’est le cœur qui rend l’homme noble. Et si je ne suis pas comte, j’ai peut-être plus d’honneur chevillé au corps que bien des comtes ».
S’il avait un vif désir de plaire, il avait aussi une forte propension à se faire des ennemis.
GRIMM écrit à Léopold en 1778 que son fils ne possède pas les armes qu’il faut pour assurer le triomphe de son talent.
Il faut comprendre la flatterie, la complaisance, la diplomatie, le sens de l’intrigue, qualités dont fait preuve particulièrement son père Léopold.

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DA PONTE, son librettiste, disait « il est trop candide, trop aisé à attraper, trop peu préoccupé des moyens qui peuvent conduire à la fortune. Ici, pour percer il faut être retors, entreprenant et audacieux. Je lui voudrais pour sa fortune la moitié de son talent et le double plus d’entregens et je n’en serais pas embarrassé. »

Il mangeait peu, buvait très peu et ne pensait qu’au travail.
Vous vous souvenez que dans le film "AMADEUS", on le représente comme un punk excentrique, libertin et aimant faire la fête.
En fait, cette excentricité n’était qu’un exutoire à cette tension créatrice, à cet excès de sérieux.
Il était aussi souvent désespéré, ne quittant jamais la mort en pensée.
Ses préoccupations existentielles contrastent constamment avec cette gaieté intarissable.
Il s’amuse d’un rien, toujours en mouvement, chante, sautille, rit follement de choses drôles et même souvent pas drôles, de plaisanteries bonnes ou mauvaises, surtout mauvaises, franchement grossières, voire scatologiques.
Scatologie partagée avec toute sa famille, son milieu et ses contemporains. Il est très courant à l’époque de blaguer sur toute la sphère appelée bas corporel, en trois mots, le trou du cul.
A 57 ans, sa mère écrivait à son père «Porte-toi bien, mets ton cul à ta bouche, je te souhaite une bonne nuit, chie au lit et que ça craque ». Formule de congés épistolaire que Wolfgang affectionne particulièrement.
Il écrivait à sa sœur : « Je te baise la main, le cou, le nez, la bouche et le cul s’il est propre ».
A sa cousine : « Excusez ma vilaine écriture, ma plume est déjà vieille. Il y a déjà 22 ans que je chie par le même trou qui n’est pas encore déchiré, et pourtant j’ai si souvent mordu la crotte de mes dents ».
« Ma très chère cousine lapine, j’ai bien reçu aujourd’hui, la lettre de mon papa, ah, ah, ah, et j’espère que vous aurez également celle que je vous ai écrite de MANNHEIM . Tant mieux, mieux tant. Vous écrivez par ailleurs, vous exprimez même, vous découvrez, vous laissez entendre, vous me faites savoir, vous déclarez, vous m’indiquez, vous m’annoncez, vous me donnez la nouvelle, vous dévoilez clairement, vous demandez, vous convoitez, vous souhaitez, vous voulez, vous aimeriez, vous exigez que je vous envoie mon portrait. Et bien je vous l’enverrais certainement. Oui par ma foi, je te chie sur le nez et ça te coule sur le menton. Je vous souhaite maintenant une bonne nuit. Pétez au lit, que cela craque, dormez bien et tirez le cul jusqu’à la bouche. Portez-vous bien entre temps. »

« Ah, mon cul me brûle comme du feu, que signifie donc cela, peut-être une crotte veut-elle sortir ? Oui, oui, crotte, je te reconnais, je te sens, etc.. »
Vous voyez mes FF.'. encore un Mozart insolite.
Comment un être qui éprouvait les pulsions animales d’un individu ordinaire a pu produire une musique dont on a le sentiment qu’elle est dépourvue de toute animalité, géniale, voire divine pour certains.

Autre aspect de son caractère : nous avons vu qu’il dilapidait et qu’il avait besoin de grandes fêtes occasionnelles, mais il était aussi extrêmement généreux.
Il a toujours secouru ses proches dans la misère. Il partageait même dans les moments les plus difficiles avec les musiciens dans le besoin. Il lui arrivait souvent de composer une œuvre et leur offrait le manuscrit afin qu’ils puissent jouer le morceau comme s’ils en étaient l’auteur.
Il était extrêmement prévenant avec sa femme Constance et avec ses enfants.
En un mot, il avait besoin d’amour et en dispensait sans compter.

Autre aspect insolite de Mozart : son appartenance à la Franc-Maçonnerie.
Je dirais que c’est surtout insolite pour un profane. Les F.'.M.'. savent très bien que l’on peut être profondément croyant et F.'.M.'.
C’est vrai aujourd’hui, et l’était encore plus encore au XVIIIème siècle.
Mozart a été durant toute son enfance et son adolescence en contact avec des F.'.M.'. et leurs idées humanistes. A 11 ans, il compose une mélodie sur un texte intitulé « A mes Frères » pour remercier le docteur Wolf, F.'.M.'. notoire de l’avoir sauvé de la variole. A 12 ans, le docteur Mesmer lui commande son opéra « Bastien, Bastienne ». Il le retrouvera en loge plus tard. A 16 ans, il compose une musique sur un texte maçonnique réservé aux seuls maçons, alors qu’aucun profane ne peut obtenir ce livret. A 17 ans, il compose pour un F.'.M.'. important, Von Gebler, un drame héroïque, «Thamos Roi d’Egypte». Ainsi, de 11 à 17 ans, Mozart se trouve continuellement témoin des interrogations des F.'.M.'. et de leurs modèles de pensée. Pour un adolescent normal, il pourrait paraître difficile d’être attiré par des spéculations de l’esprit. Mais Mozart était tellement hors norme en tout qu’il n’est pas étonnant compte tenu de son fonctionnement intellectuel et sensoriel qu’il s’intéresse à tous ces problèmes philosophiques.

Le 14 décembre 1784, à 20 heures, il est initié dans la Loge « la Bienfaisance » à l’Orient de Vienne. Tous les FF.'. présents étaient représentatifs de l’aristocratie et de la bourgeoisie. Pour Mozart, c’était aussi un signe d’ascension sociale, nous possédons tous les documents relatant, avec la plus grande précision, cette cérémonie. En homme de théâtre, Mozart ne pouvait qu’être fasciné par son initiation. C’est en ce sens que « La Flûte Enchantée » prend sa véritable dimension. C’est une apothéose presque liturgique des idéaux maçonniques. Le grand projet de fraternité universelle dont ils étaient porteurs, le fascinait encore davantage. Cette solidarité qui le soutenait et qui se serait manifestée beaucoup plus, si les FF.'. avaient connu sa détresse (l’Hosp.'. ne faisait pas son boulot). Cette solidarité lui inspira quelques œuvres parmi les plus belles et les plus sincères, et en même temps, sans le moindre cas de conscience, il travailla au plus beau « Requiem » de toute l’histoire de la musique.

Il est promu Compagnon le 7 janvier 1785 (un mois après son initiation) et le 10 janvier 1789, il est promu Maître.
Haydn est initié le 11 février 1785, dans sa Loge. Wolfgang lui a dédié ses fameux quatuors. En les entendant, Haydn dira à Léopold : « Je vous le dis devant Dieu en homme respectable, votre fils est le plus grand compositeur que je connaisse de tous les temps ».
Le 6 avril 1785, Wolfgang assiste à l’initiation de son père qui le découvre Maître. Le lendemain, un somptueux banquet réunit les trois hommes. Léopold repart pour Salzbourg, Wolfgang ignore qu’il ne le reverra plus.
Mozart sera affilié ensuite à la Loge la plus célèbre de Vienne, « La Vraie Concorde », pour finir dans celle de "L’Espérance Couronnée » qu’il ne quittera plus jusqu’à sa mort.
La musique est un agrément important de la vie maçonnique du XVIIIème siècle. On chante en Loge, on chante pendant les banquets, on organise aussi de véritables concerts. Les Loges ont besoin de musiciens et pour les attirer, ils sont dispensés de capitations. En échange, ils jouent dans toutes les occasions où la musique est requise. Mozart compose aussi, bien sûr. Les chants de Loge, selon la règle de l’époque, s’achèvent toujours par la reprise par toute l’assemblée, de la dernière phrase du soliste. En nul autre endroit de Vienne, Mozart ne peut connaître la joie d’entendre toute une salle reprendre en chœur son chant fraternel à l’humanité. Qu’importent les petits symboles maçonniques, les rythmes pointés, les anapestes (deux brèves, une longue) les tierces, les nombres de bémol et de dièses à la clé ; l’essentiel est ailleurs, dans la communion musicale.
Une seule ombre à ce tableau, la moitié de l’humanité est exclue, précisément celles dont « Les Noces de Figaro » revendiquent les droits, c’est-à-dire les femmes. Mozart veut battre en brèche la tradition maçonnique en lui opposant une tradition égyptienne, plus ancienne, d’une initiation double. Tamino et Pamina suivront cet exemple. Mozart n’est plus tout à fait satisfait de la Maçonnerie au moment où éclate la révolution française. Il ne veut pas se contenter de penser, il veut agir, instaurer une Franc-Maçonnerie mixte. Il commence même à en rédiger les statuts. Mais la mort l’empêche de poursuivre.

Dès l’été 1791, il souffre de plus en plus. Quelque chose lui annonce sa mort pour les mois à venir. Il se sent parcouru d’un froid indicible. Son teint est pâle, sa mine triste, et dit-il « J’ai un goût de mort dans la bouche ».

Il est atteint d’une profonde mélancolie et chaque départ d’un ami, chaque adieu murmuré le fait fondre en larmes. Mais il ne craint pas la mort. Cette étape lui semble douce et obligatoire pour atteindre une vie meilleure, un monde où tous ceux qui s’aiment, se retrouvent. Il écrira à son père malade : « A y regarder de près, la mort est le but final de notre vie, je me suis depuis quelques années, tellement familiarisé avec cette véritable et parfaite amie de l’homme, que son image non seulement n’a plus rien d’effrayant pour moi, mais m’est très apaisante, très consolante »

Il est mort le 5 décembre 1791 à 0 heure 05. Beaucoup de légendes ont circulé sur son enterrement. En fait la simplicité de la cérémonie est une volonté de Constance. Les finances du ménage n’étaient certes pas au mieux, mais on suppose que dans le but d’obtenir une pension de l’Empereur Léopold II, la veuve du compositeur préféra s’abstenir de tout apparat.

Le peuple était atterré par la mort de Mozart et une foule en larmes agitait des mouchoirs blancs. L’usage n’était pas d’accompagner le cercueil. Et d’ailleurs, comment croire, que ses chers FF.'. qui ne cachaient pas leur appartenance à la F.'.M.'. auraient laissé le corps de leur F.'. faire son ultime voyage dans la solitude absolue si ce n’était la tradition qui l’exigeait. La tradition n’a pas changé, en tous les cas, pour nous les Maçons, puisque les FF.'. de sa Loge firent une Tenue Funèbre pour le passage de Wolfgang à l’Orient Éternel.

J’ai le texte de l’oraison funèbre que le Vénérable Maître Karl Philip Hensler prononça et que je tiens à votre disposition mes FF.'. « Le Grand Architecte de l’Univers vient d’enlever à notre chaîne fraternelle l’un des maillons qui nous était le plus cher et le plus précieux. Qui ne le connaissait pas ? Qui n’aimait pas notre si remarquable F.'. Mozart ? Il y a peu de semaines, il se trouvait encore parmi nous, glorifiant par sa musique enchanteresse l’inauguration de ce Temple. Qui de nous aurait imaginé qu’il nous serait si vite arraché ? Qui pouvait savoir qu’après trois semaines, nous pleurerions sa mort ? C’est le triste destin imposé à l’homme que de quitter la vie en laissant son œuvre inachevée, aussi excellente soit-elle. Même les rois meurent en laissant à la postérité leurs desseins inaccomplis. Les artistes meurent après avoir consacré leur vie à améliorer leur art pour atteindre la perfection. L’admiration de tous les accompagne jusqu’au tombeau. Pourtant, si des peuples pleurent, leurs admirateurs ne tardent pas, bien souvent, à les oublier. Leurs admirateurs peut-être, mais pas nous leurs Frères ! La mort de Mozart est pour l’Art une perte irréparable. Ces dons reconnus depuis l’enfance avaient fait de lui une de ces merveilles de cette époque. L’Europe le connaissait et l’admirait. Les Princes l’aimaient et nous nous pouvions l’appeler mon Frère. Mais s’il est évident d’honorer son génie, il ne faut pas oublier de célébrer la noblesse de son cœur. Il fut un membre assidu de notre Ordre. Son amour fraternel, sa nature entière et dévouée, sa charité, la joie qu’il montrait quand il faisait bénéficier l’un de ses FF.'. de sa bonté et de son talent. Telles étaient ses immenses qualités que nous louons en ce jour de deuil. Il était à la fois un époux, un père, l’ami de ses amis, et le frère de ses Frères. S’il avait eu la fortune, il aurait rendu une foule aussi heureuse qu’il l’aurait désiré ».

Le privilège des artistes, c’est qu’ils sont immortels. Ils restent parmi nous grâce à leur œuvre. C’est pourquoi, je considère que Mozart n’est pas mort, car je l’écoute tous les jours.

Je vais finir ma planche par un aspect de son caractère qui peut paraître à certains peu sérieux, mais qui pour moi, l’est au plus haut point, je dirai même essentiel : ce trait, c’est son humour et son ironie permanente. L’humour ne sert pas seulement à nous faire rire, à nous rendre joyeux. Cela ne serait pas déjà si mal. Mais l’humour et l’ironie servent aussi à nous faire prendre conscience de l’insignifiance de tout. En ce sens, l’humour est l’ennemi des idéologies qui représentent une simplification du monde. L’ironie, de son côté, défait toute certitude, elle irrite, agace non pas parce qu’elle se moque ou attaque, mais parce qu’elle nous prive des certitudes en dévoilant le monde comme une énorme ambiguïté. Une des dernières leçons de Mozart pourrait être le constat de l’ivresse procurée par la relativité des choses humaines, le plaisir étrange issu de la certitude qu’il n’y a pas de certitude.

Je termine mes Frères, comme j’ai commencé, en vous disant que Mozart était un véritable Pavé Mosaïque. Je ne sais pas, si comme certains l’affirment, il était divin, mais je sais maintenant que, comme nous tous, il n’était pas parfait. A coup sûr, génial pour la musique, mais incapable de voyager sans sa mère à 22 ans, incapable encore de se gérer, et peut-être complètement insensible à la peinture ou à d’autres formes d’Art. En un mot, il était profondément humain. Il est facile de coller des étiquettes aux hommes. Mais en utilisant des confettis comme étiquettes pour représenter chaque aspect d’un individu, la surface corporelle du plus gros d’entre nous tous (et je ne cite personne) serait insuffisante pour les coller tous. C’est la dernière leçon que me lègue Wolfgang Amadeus Mozart. Mon Frère Mozart, merci pour tout ce que tu nous as apporté et tout ce que tu nous apporteras. Je suis fier et heureux de mieux te connaître.
J’ai dit.

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