Colonne d'Harmonie

de Godewarsvelde - Quand la mer monte
LE MAL DE MER
seasick
 
La mer comme viennent si bien mes FF.'. de le dire a des aspects infinis et merveilleux.
Mais chez tous les F.'.M.'. vous savez que rien n’est jamais tout blanc ni jamais tout noir, je pourrais même dire plus exactement puisqu’il s’agit de la mer, jamais toute verte, jamais toute bleue car je me dois de rester au centre de l’union et ne pas seulement considérer les aspects positifs de cette mer mais aussi les négatifs.
Cette mer a souvent été un bagne pour nos ancêtres qui n’ayant pas le choix étaient condamnés à l’affronter pour gagner à peine de quoi vivre.
Quand je dis un bagne c’est en dessous de la vérité ; les conditions de vie des marins jusqu’au milieu du 20ème siècle étaient vraiment épouvantables.
Lors d’une émeute de bagnards à Cayenne, ces derniers s’écriaient « Nous ne sommes quand même pas des marins ! » C’est vous dire !!!
Si les océans sont le berceau de la vie sur notre planète, ils sont aussi le cimetière d’une multitude de nos frères humains.
Les bretons et les normands du littoral me comprendront facilement car chez nous rares sont les familles qui n’ont pas perdu un être cher en mer.
Hormis le fait que le plus souvent ce sont des disparitions accidentelles qui frappent des hommes encore jeunes, le fait d’avoir la mer comme tombeau n’est pas si mal puisqu’il faut mourir un jour. Et ce n’est pas la sépulture la moins enviable loin s’en faut.
Mais je suis sûr que vous connaissez tous le célèbre proverbe marin énoncé comme une litanie dans toutes les familles côtières : « Priez pour les marins qui sont à terre, ceux qui sont en mer, qu’ils se démerdent. »
Car après tout, ce qui m’importe le plus n’est pas ce qui se passera après que cette mer nous aura englouti, mais toutes les misères qu’elle nous inflige avant.
Je vous fais grâce des tornades, typhons, raz-de-marée et autres tsunamis qui ont souvent le bon goût de sévir assez loin de chez nous. Je vous fais même grâce de la simple tempête avec des creux de 3 à 10 mètres. Je voudrais simplement vous parler de cette gentille mer qui même bien calme peut provoquer, sans que l’on s’y attende, sans prévenir, sournoisement, hypocritement même par temps de « demoiselle » comme disent les marins.
Ce fameux malaise, cette fameuse cinétose redoutée de tous et plus particulièrement de ceux qui en ont souffert...
Vous l’avez reconnu, je veux parler du : MAL DE MER.

Il est la résultante d’un conflit : entre les diverses informations sensorielles et le schéma physiologique escompté par les système nerveux central, bâti lui-même sur l’expérience avec la référence de la gravité terrestre.
L’excitation trop intense des récepteurs sensoriels, le défaut de concordance entre les diverses informations concourant à l’équilibre, même si tous ces systèmes coopèrent, entraînent une prédominance du système vestibulaire soumis à des mouvements extrêmement complexes que l’on ne retrouve paraît-il qu’à dos de chameau.

Tout ceci entraîne une impression de malaise et de déséquilibre, une sensation de tête vide, des céphalées, pâleurs, sudations, hyper salivation, bâillements, éructations.
Mais ce n’est qu’un début.
Les nausées accompagnées de sueurs froides précèdent de peu les vomissements, d’abord alimentaires, puis bilieux, de plus en plus pénibles à mesure qu’ils se répètent avant d’être remplacés par des spasmes gastriques A SEC EPOUVANTABLES suivis d’une prostration pouvant au bout de plusieurs jours provoquer la mort par déshydratation.
Mes FF.'., mourir de faim, c’est grave, mais de soif, c’est pire !
Alors mes FF.'. pour éventuellement vous éviter une telle déconvenue et vous prévenir contre cette saloperie de MAL de MER nous allons passer en revue les différentes façons de l’éviter.
Ou de l’atténuer.
Il y a deux écoles Estomac VIDE ou Estomac PLEIN.
Restons au centre disons qu’avec une moitié vide et l’autre moitié pleine, ce n’est pas mal.
Rappelez-vous quand même mes FF.'. que si le poisson pas frais n’est pas très bon à manger, à vomir, c’est bien pire.
Les principaux ennemis sont les 4 F : FROID, FAIM, FATIGUE, FROUSSE.
Pour certains, il y en a un 5ème : la SOIF.
S’installer de préférence près du centre de gravité du bateau.
Position demi - assise dans le sens de la marche présumée, les yeux fermés.
Au chaud, loin des odeurs ce qui sur un chalutier de Kéroman n’est pas si simple, je sais de quoi je vous parle.
Vous avez ce que l’on appelle l’AMARINAGE qui a l’inconvénient de n’être efficace dans le meilleur des cas qu’après 24 à 48 h de mer. J’ai connu un patron pêcheur de Honfleur qui a été malade pendant 12 ans avant de disparaître en mer, mais pas du mal de mer.
Vous avez ensuite toutes les familles de médicaments contre le MAL DE MER.
J’en ai noté à peu près une trentaine disponible chez votre pharmacien préféré. Certains ont même de très jolis noms et je ne résiste pas au plaisir de vous en citer quelques uns :
MERCALM, NAUSICALM, VOGALIB, VOGALESE.
Ils sont tous composés à la base de la même molécule à laquelle l’on rajoute du PERLIMPINPIN en quantité variable.
Ce sont tous comme je vous l’ai dit des ANTI EMETIQUES + PERLIMPINPIN.
Si je me permets de vous en recommander un plus particulièrement, c’est parce qu’il a été inventé par un apothicaire honfleurais complètement loufoque, successeur du père d’Alphonse Allais, PAUL DEMARAIS, dit Popol, dans les années 30, peu avant qu’il ne se présente à la Présidence de la République et qu’il crée son journal satirique « Les Ecrasés de la Nation ».
Ce remède connu dans le monde entier est beaucoup plus efficace que tous les autres réunis à la seule condition de respecter scrupuleusement la posologie, 2 cuillerées le matin et rien le soir.
Ce médicament miracle, c’est vous l’avez deviné mes FF.'., le célèbre PASSOCEAN.
Utilisé par la NASA lors du célèbre vol Apéro 15 chargée d’étudier le comportement des rugbymen lors d’une 3ème mi-temps dans l’espace. (Comme on dit à Honfleur : c’est vrai, j’y étais.)
La supériorité indéniable du PASSOCEAN vient du fait que contrairement à TOUS les autres, lui ne contient QUE DU PERLIMPINPIN. Un échantillon vous en sera d’ailleurs offert à la sortie en prévision du poisson de ce midi.
Mais n’ayez pas peur, mes FF.'., tout ceci est dépassé car nous venons de redécouvrir le REMEDE ABSOLU contre le mal de mer. La CINETOSE n’existe plus !
Jules Renard a découvert LA PANACEE, il préconisait : « De préférence à tout voyage, la sieste sous un pommier. »
Comme cela, vous saurez quoi faire cet après-midi. Bon courage.

J’ai dit

 
PAUL DEMARAIS, dit Popol
 
demarais
Notre " horsain " qui s'appelait Paul DEMARAIS débarqua à Honfleur en 1927. Il avait déjà 55 ans et venait tout droit de Lurey-Levy, petite ville proche de Moulins dans l'Allier où il avait abandonné son commerce pour des raisons alors obscures. Il avait, paraît-il, fait un petit séjour à l'Asile de Moulins… Très vite, Paul DEMARAIS fera parler de lui. Il semblerait qu'il ait été un professionnel compétent et dynamique.
A cette époque, le pharmacien avait encore un rôle très important et fabriquait lui-même sirops et potions dans son laboratoire personnel, en fonction des prescriptions médicales fournies par le Médecin. On était encore loin des livraisons quotidiennes des laboratoires industriels d'aujourd'hui jusque dans la plus isolée des officines de province. Paul DEMARAIS avait, paraît-il, un sens inné des proportions, une expérience déjà ancienne et une compétence indiscutables.
Malheureusement, son énergie, puis son imagination, enfin son délire l'amenèrent à quelques excès. Il prétendait avoir des solutions médicamenteuses de sa composition pour soulager la plupart des maux de l'humanité souffrante. Cela allait des vomissements de la grossesse à la chute des cheveux en passant par la tuberculose, s'il vous plait, et bien sûr l'obésité.

Cependant, sa grande invention, sa potion magique, qui aura un succès certain était un remède contre le mal de mer qu'il baptisa le PASSOCEAN.
L'immeuble de sa pharmacie, place Hamelin, avait été repeinte et vantait en lettres énormes son produit miracle à tous les passagers du Bateau du Havre qui accostait tous les jours à 20 mètres de sa boutique.
Il s'agissait d'un flacon à respirer en cas de malaise et cela marchait car, comme chacun sait, la traversée Honfleur - Le Havre n'était pas toujours une partie de plaisir.
Ces activités professionnelles ne semblaient pas suffisantes pour absorber tous les instants de notre potard. Il publiera tout d'abord une méthode pour apprendre l'Anglais :
" Méthode d'Anglais Demarais spéciale pour apprendre à parler "
Il semblerait que sa technique n'était pas complètement farfelue puisqu'elle aurait obtenu un prix, le " Prix Broquette-Gonin ", délivré en 1931 par l'Institut de France, - encore que cette information donnée par DEMARAIS lui-même est pour le moins sujette à caution.

carte

Rêve et réalité seront, en effet, chez notre homme des compagnes quotidiennes et permanentes rendant difficile le tri nécessaire pour l'observateur le plus objectif. Il est certain, au demeurant, que Paul DEMARAIS était un personnage peu ordinaire ; Il avait, en avance sur son époque, un sens inné de ce que pouvait apporter une publicité bien faite et répétitive. Doué d'un sens du commerce indiscutable, son bagout de politicien ou de marchand de cravate (au choix) faisait merveille d'autant qu'il ne manquait pas d'humour avec, en prime, un culot à tout épreuve.
Avec un tel bagage tous les espoirs sont permis !
Il alla donc jusqu'à publier " Le Livre d'Or de la Méthode d'Anglais Demarais d'Honfleur " en reproduisant les courriers de remerciements et accusés de réception des grands personnages à qui il avait envoyé un exemplaire de sa fameuse méthode.
Par démagogie et/ou par prudence électoraliste pour certains d'entre eux, il reçut, en effet, du Secrétariat du Président de la République, Gaston Doumergue, du Président du Sénat, Paul Doumer, du Président du Conseil, M. Tardieu, du Sénateur local Chéron, d'Henri Laniel, député du Calvados, - qui un accusé de réception, qui un petit mot encourageant ou aimable. Cela ne coûtait pas cher et faisait toujours plaisir aux électeurs potentiels...
DEMARAIS n'oubliera pas l'évêque de Lisieux. Il ira jusqu'à adresser sa méthode à Henri de Régnier, à l'époque Académicien, lequel se souvenait si peu de ses origines honfleuraises.
Notre pharmacien utilisera ainsi astucieusement ces encouragements officiels pour prouver que sa méthode était reconnue et soutenue, à la fois par l'Académie, l'Eglise et le Monde Politique, - des fois que cela pourrait augmenter les ventes !
Tout aussi éloignée de la pharmacie et de ses sirops, une autre invention occupera un temps notre vibrionnant apothicaire.
Il écrivit, en fait, un petit opuscule qu'il vendait 10 francs et qui était destiné à faire faire des économies de chauffage à ses concitoyens. Notre homme était fou bien sûr, mais ses conseils en matière d'économie d'énergie, - voilà un concept bien moderne pour l'époque -, étaient, pour la plupart frappés au coin du bon sens autant qu'on puisse en juger à la lecture de ses douze " leçons ".
Toutes ces activités ne semblaient pas suffisantes pour occuper cet éternel agité. Paul DEMARAIS avait d'autres ambitions politiques, bien sûr.
Il réussit à se faire élire comme Conseiller Municipal en 1933. A partir de ce moment-là il ne se contrôla plus. Il alimentera la chronique honfleuraise par ses outrances, ses indignations, ses coups de gueule et ses injures distribuées généreusement à la bourgeoisie et les notabilités honfleuraises.
Il sera le poil à gratter du Conseil Municipal et le cauchemar du Docteur Brehier, le maire de l'époque. Il décidera alors de fonder un journal, considérant que la Presse locale, l'Echo Honfleurais, en l'occurrence, ne lui ouvrait pas suffisamment ses colonnes pour exprimer sa colère et dénoncer les turpitudes de l'un ou de l'autre de ses concitoyens.

journal
C'est ainsi que les honfleurais virent paraître " Le Journal des Ecrasés de la Nation " en 1934. Cette feuille de choux, à la parution intermittente, était supposée prendre la défense des commerçants, des agriculteurs, des marins, des ouvriers et employés, des petits rentiers et retraités, et des anciens combattants ! Ouf ! - Tous écrasés qu'ils étaient par une fiscalité étouffante, une administration aveugle, un pouvoir municipal et politique corrompu.
Avec une telle cohorte " d'écrasés ", DEMARAIS jugea qu'il était temps de créer un parti politique, " Le Parti National Humanitariste ", dont le programme et les 40 articles statutaires firent la une du Journal des Ecrasés en janvier 1935, entre deux publicités pour le Passocéan, la méthode d'Anglais ou la potion magique pour chauves désespérant de leur calvitie... Jusqu'en 1939, DEMARAIS alimentera la chronique quotidienne de tous les honfleurais victimes ou spectateurs de la dernière foucade de leur potard délirant.

L'Europe était alors inquiète, la guerre à nos portes, mais l'échéance était là. Menacés de guerre ou pas, il fallut organiser l'élection du Président de la République, prévue pour le 5 avril 1939.
L'heure n'était donc plus à la rigolade.
Paul DEMARAIS estima, lui, qu'il devait sauter sur l'occasion pour se faire entendre. Quand on est le créateur d'un journal, fondateur d'un parti politique, on ne peut pas ne pas se présenter aux élections présidentielles.
C'est ainsi que notre candidat honfleurais débarqua dès potron-minet à Versailles, sur la Place d'Armes, le 5 avril 1939. La poitrine couverte de décorations imaginaires et de médailles fantaisistes, à la manière d'un général mexicain, avec autour du cou la Grand Croix de " Commandeur de l'Ordre Universel du Mérite Humain ", du " Grand Prix Humanitaire de Belgique ".

bulletin
Paul DEMARAIS se lança alors dans une harangue injurieuse et vengeresse en distribuant des tracts pour le moins peu aimables pour le Président Albert Lebrun.
La Police Versaillaise perdit patience et embarqua notre candidat au poste.
Imperturbable, le président virtuel continua à discourir devant un parterre d'agents goguenards, de dames de petite vertu et de clochards qui en avaient pourtant vu, mais qui, cette fois-ci, n'en revenaient pas ! DEMARAIS fut bientôt rejoint par cinq autres candidats du même acabit que la Police avait jugé prudent de mettre à l'ombre, le temps de l'élection.
Tous furent relâchés le soir même, dès que les lampions furent éteints, les Versaillais couchés et le nouveau président élu. Notre malheureux candidat regagna sa Normandie, mais le cœur n'y était plus et son état mental empira très vite. Le 24 mai 1939, il fallut se résoudre de guerre lasse à l'arrêter, ses facéties ne faisaient plus rire personne.
Après un bref séjour à la prison de Pont-L'Evêque, le Préfet du Calvados imposa l'internement immédiat de notre pharmacien - inventeur - politicien. Il finira tristement au Bon Sauveur de Caen.
Autant son séjour honfleurais de 1927 à 1939 ne sera que bruit et fureur, autant sa mort sera triste et discrète au point qu'on ne sait même pas quand, exactement, vers 1945, il rejoignit ses chimères dans un monde meilleur.

Bibliographie : Archives Municipales d'Honfleur.

Compilation de Mr Loriot

honfleur