L'Etoile de Jacques Brel
 
     
Jacques Brel, l’était-il… ou ne l’était-il pas ?
Il était un bon chanteur et un excellent acteur. Il jouait d’ailleurs ses chansons, avec son corps, tout autant qu’il les chantait.
Mais… l’était-il ou ne l’était-il pas ? Franc-maçon…
Non, il n’a pas appartenu à la franc-maçonnerie belge, même si certains l’ont supposé et même affirmé. Cependant, Jacques Brel aurait mérité de devenir franc-maçon et je ne serais pas étonné qu’il y ait songé, ainsi que nous l’entendrons dans une de ses chansons, tout à l’heure, quand il évoque son inaccessible étoile. D’ici là, je vais partager avec vous ma conviction qu’il aurait aisément et utilement trouvé sa place parmi nous.
Voici pourquoi.

Jacques Brel est né le 8 avril 1929 à Schaerbeek, une commune de Bruxelles, dans une famille catholique flamande d'industriels. Un milieu austère. Petit, il était peu intéressé par l'école, excepté par les cours de français. A 15 ans, il écrit déjà de longs poèmes et des nouvelles puis, à 16 ans, il crée une troupe de théâtre avec quelques copains et écrit lui-même des pièces qu'il joue en amateur. Amateur de musique classique, il compose ses premières mélodies sur le piano familial et sur sa guitare, sans grande formation musicale.
A 18 ans, devant ses échecs scolaires, son père le fait entrer dans la cartonnerie familiale « Vanneste & Brel » où il est affecté de 1947 à 1953 au service commercial, travail pour lequel il n'a manifestement aucun goût. Il songe très sérieusement à une reconversion, soit en tant qu'éleveur de poules, soit en tant que cordonnier, soit comme chanteur. Il choisit finalement et heureusement cette dernière voie et écrit beaucoup, n'importe où, n'importe quand. A la même époque, il s'inscrit à "La Franche Cordée", mouvement philanthropique, ce qui vous rappelle peut-être quelque chose ? Il en deviendra le président en 49. Au sein de cette association, il monte de nombreuses pièces de théâtre dont "Le Petit Prince de Saint-Exupéry". Il y rencontre également, sa future épouse, Thérèse Michielsen, dite « Miche », toujours fourrée avec une copine en sorte qu’on parle de « la paire de miches ». Jacques épouse Miche le 1er juin 1950 et l’année suivante naît leur première fille, Chantal
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En 1952, Jacques Brel compose quelques titres qu'il chante dans le cadre familial ou lors de soirées dans des cabarets de Bruxelles mais la force des textes et la violence de son interprétation sont mal acceptées par son entourage qui l'encourage vivement… à arrêter tout de suite de chanter. Il persévère.
En 1953 il réalise un disque maquette qu'il envoie à Jacques Canetti, découvreur de talents chez Philips et propriétaire du cabaret « Les Trois Baudets », qui l’invite à Paris. Cette émigration est à l'origine du prénom de sa deuxième fille, France, née le 12 juillet 1953.
Jacques Canetti l'auditionne et lui conseille de participer au festival de Knokke-le-Zoute. Le public est aussi enthousiaste que ses proches : Jacques Brel est classé avant-dernier. Il persiste encore et lors d’une représentation à l’Olympia où il chauffe la salle, Bruno Coquatrix le remarque et l’encourage.
En janvier 1955, Brel fait ses vrais débuts à l'« Ancienne Belgique », célèbre salle de concert bruxelloise et Jacques Canetti continue de l'envoyer dans des tournées où il se produit notamment en vedette américaine de Philippe Clay, Dario Moreno et Catherine Sauvage.
Sa femme et ses deux fillettes le rejoignent à Paris, la famille Brel s'installe à Montreuil. Son premier 33 tours sort. Il est encore imprégné de l'influence du scoutisme et de son éducation catholique, en sorte que Georges Brassens le surnomme amicalement « l'abbé Brel ». En 1956 paraît son premier grand succès public, « Quand on n'a que l'amour ». En 1957, Brel rencontre Gérard Jouannest, qui composera pour lui les musiques de 35 de ses chansons et deviendra son accompagnateur exclusif sur scène.

Petit à petit, Brel trouve son style, son public, et connaît enfin le succès. Il conserve sa forte personnalité. Par exemple, il ne cèdera jamais à la tradition du rappel, qu'il juge démagogique. En 1957, son second 33 tours reçoit le grand prix de l'Académie Charles-Cros et, fin 1958, année de naissance de sa troisième fille, Isabelle, c'est le succès à l'Olympia, en première partie ; puis il est tête d'affiche, créant peu après son fameux " Ne me quitte pas " et " La valse à mille temps ". Dès lors, les tournées s'enchaînent à un rythme infernal, Brel participant parfois à plus de concerts qu'il n'y a de jours dans l'année ; ce qui est évidemment incroyable.
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En mars 1962, il quitte la maison de disques Philips pour Barclay. Il enregistre « Le Plat pays », hommage à sa Belgique natale. En octobre 1962, il crée sa maison d'éditions musicales « Arlequin », qui deviendra six mois plus tard, les éditions « Pouchenel » (Polichinelle en bruxellois). Son épouse en est la directrice. En 1963, il interprète « Les Vieux » en référence à ses parents, qui meurent tous deux à cette période, sans rapport de cause à effet, a priori, même si ce n’est pas l’une des meilleures chansons de Jacques Brel.
L’artiste remonte sur la scène de l'Olympia en 1963, avec Isabelle Aubret en première partie. Quand cette dernière est victime d'un grave accident, quelques temps après, il lui offre à vie les droits de la chanson « La Fanette », comme une sorte de rente invalidité qui témoigne de sa générosité. Je reviendrai sur ce point clé de sa personnalité.
Deux albums sortent en 1963, dont son récital d'octobre à l'Olympia, récital encore salué par la critique. C'est à cette occasion qu'il crée « Amsterdam », que le public ovationne. Cette année-là, Brel passe son brevet de pilote et s'achète un petit avion. Enfin, en 1964, il obtient le Grand Prix national du Disque en France.
Début 1965, en pleine guerre froide, il part en tournée de cinq semaines en URSS, puis à New York où il se produit sur la prestigieuse scène du Carnegie Hall. La presse américaine l’encense. Ça tombe bien, il est catholique.

Précision intéressante quant à sa personnalité : dans la plupart de ses récitals, des plus petites salles aux plus grandes, Jacques Brel tient à faire profiter les jeunes chanteurs de sa notoriété afin de leur donner l'occasion de chanter sur scène. C’est une constante. Encore un trait de générosité.
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En 1966, il est au sommet de son art, avec un album de dix titres tels que Ces gens-là, Jef, Fernand, Mathilde, Grand-Mère, L'âge idiot…. C’est là qu’il décide d'abandonner la chanson. Sans doute que son entourage lui avait suggéré de continuer. Après avoir honoré ses contrats en cours, il donne son dernier récital à Roubaix, le 16 mai 1967.
Il tourne ensuite dans un certain nombre de films, et en réalise deux lui-même, Franz, et Le Far-West. Début 1973, Jacques Brel, qui se sait très gravement malade, rédige son testament, et désigne sa femme, Miche, légataire universelle. Il sort un 45 tours « L'enfance », dont il cède à vie les droits d'auteur à la Fondation Perce Neige de Lino Ventura, fondation au profit de l'enfance handicapée. Encore et toujours l’expression de sa générosité.
Son dernier rôle au cinéma reste mythique : il campe le dépressif François Pignon face au tueur à gages « Monsieur Milan », alias Lino Ventura, dans L'Emmerdeur.

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En 1974, il abandonne le spectacle. On l’opère d’un cancer du poumon et sa maladie est désormais connue du grand public. Il entame un tour du monde en voilier avec Maddly Bamy, actrice et danseuse antillaise, ancienne Claudette de Claude François. Tous deux décident de s’installer aux Marquises. Jacques Brel possède alors un bimoteur Beechcraft baptisé Jojo, en souvenir de son vieil ami Georges Pasquier qui a disparu durant cette année 1974. Il l’utilise comme avion-taxi pour rendre service aux habitants en les transportant gratuitement, à ses frais, entre les Marquises et Tahiti.
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En 1977, Jacques Brel décide d'enregistrer un disque. Ses anciens titres se vendent toujours très bien et bien que vivant à des milliers de kilomètres de l'Europe, il est toujours très présent dans l'esprit du public. Le 17 novembre 1977, la sortie de l'album est un événement national. Brel a demandé à sa maison de disques qu'il n'y ait aucune promotion, mais les précommandes du disque atteignent le million, sans aucune publicité. Un record absolu. Il s'en écoule trois cent mille dans l'heure qui suit la mise en vente.

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En juillet 1978, son cancer du poumon s'aggrave. Il est ramené en France métropolitaine où il meurt, à 49 ans, le 9 octobre 1978 à l'hôpital de Bobigny. Il repose au cimetière d'Atuona, aux îles Marquises, non loin de la tombe de Paul Gauguin.
En 1981, sa fille, France, crée la Fondation Jacques-Brel destinée à faire connaître à un large public l'œuvre de l'artiste, à soutenir la recherche contre le cancer et l'aide à l'enfance hospitalisée. En décembre 2005, il est élu au rang du plus grand Belge de tous les temps par le public de la RTBF, Radio Télévision Belge Francophone.
Chanteur, auteur, compositeur, acteur, Jacques Brel a mené sa vie ardemment et à un train d'enfer, multipliant les activités, les projets, les tournées et les voyages, ne dormant guère et vivant ses nuits dans les bars et les boîtes en buvant de la bière et en fumant cigarette sur cigarette, tout en refaisant le monde. Une vie menée pied au plancher, comme une course éperdue contre le tic-tac de la fameuse horloge trônant dans le salon des Vieux, « qui dit oui, qui dit non, et puis qui nous attend ». Une course contre le temps, l'imbécillité et la mort, qui finira par prendre la forme d'une quête : celle de cette « inaccessible étoile », où se conjuguent les rêves, les révoltes et les moulins à vent de cet éternel adolescent.
C’est cette quête, que je trouve très maçonnique dans son esprit, qu’il décrit dans le morceau que je vous invite à présent à écouter, si tu le veux bien, mon Frère Maître de la Colonne d’Harmonie.

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Jacques Brel - La quête
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Jacques Brel - Jojo