LA MUSIQUE DE L'ÂME
 
Ce que la musique représente pour moi, Charles Baudelaire l’a exprimé ainsi :

La musique souvent me prend comme une mer !
Vers ma pâle étoile,
Sous un plafond de brume ou dans un vaste éther,
Je mets à la voile ;

La poitrine en avant et les poumons gonflés
Comme de la toile,
J’escalade le dos des flots amoncelés
Que la nuit me voile ;

Je sens vibrer en moi toutes les passions
D’un vaisseau qui souffre ;
Le bon vent, la tempête et ses convulsions

Sur l’immense gouffre
Me bercent. – D’autres fois, calme plat, grand miroir
De mon désespoir !


meduse
Vent et pluie
Feu
Chants d'oiseaux
Les bruits que nous prodigue la nature sont les premières musiques à avoir enchanté l’homme. Généreuse parfois, cette nature a aussi fourni les matériaux susceptibles de les imiter, puis de les transcender.
violon
Prenons le violon. Il est constitué de 71 éléments en bois (épicéa, érable, buis, ébène, etc…). L’archet est en bois de Pernambouc. Les premières cordes étaient en boyau. Les crins de l’archet sont toujours des crins de cheval.

La pièce probablement la plus importante du violon s’appelle l’âme. C’est une petite pièce de bois cylindrique en épicéa. Elle se trouve à l’intérieur de l’instrument, entre la table et le chevalet et joue un rôle essentiel dans la transmission des vibrations des cordes.

Chanson d'automne - Paul Verlaine
Sicilienne - J-S Bach (sonate n° 1 pour violon seul - G.Kremer)
foret
Nos premiers temples ont été les forêts. Nos premières colonnes les fûts des arbres. Nos premières colonnes d’harmonie, le bruissement du vent, le murmure du ruisseau et le chant des oiseaux. Plus proches de la nature, les premiers initiés devaient être impressionnés par ces lieux.
foret
rouen
Charles Baudelaire, dans « Obsession » :

Grands bois, vous m’effrayez comme des cathédrales ;
Vous hurlez comme l’orgue ; et dans nos coeurs maudits,
Chambres d’éternel deuil où vibrent de vieux râles,
Répondent les échos de vos De profundis.

tuyaux
Livre d'orgue "Les yeux dans les roues" - Olivier Messiaen
Quel est le poids de l’âme ? 21 grammes, répond le docteur Duncan McDougall. En 1907, il réalise des expériences dans le but de prouver que l’âme humaine a une masse et une réalité physique. Il place des sujets mourants sur une balance et constate qu’au moment précis où le corps et l’âme se séparent, le moribond perd 21 g … 21 g qui correspondraient donc au poids de l’âme !
Le cartésien que je suis cherche bien sûr une explication et envisage plutôt l’hypothèse d’un lâcher de gaz intempestif post-mortem.
Je vous rassure tout de suite : je ne vais pas essayer de vous donner une définition de l’âme. Je dirai simplement que lorsque je parle d’âme, il s’agit pour moi d’émotion, de sensibilité, de sentiment … tout simplement.

21g
Si certaines musiques irritent ou laissent indifférent, d’autres nous émeuvent, nous font dresser les poils, nous font rêver, nous emportent loin du monde réel, titillent nos glandes lacrymales, nous mettent du baume au cœur, nous donnent envie de sauter ou de danser de joie.
Les musicothérapeutes le savent. Bien choisie, une musique peut calmer voire faciliter une guérison, surtout s’il s’agit de soigner des bleus à l’âme. Certaines musiques, bien choisies, permettraient même aux vaches de produire davantage de lait !

Parmi toutes les musiques, la musique sacrée est, pour moi, la musique du bonheur de l’âme … de la mienne … en acceptant l’idée que je puisse avoir une âme ! Musique sacrée, musique spirituelle plutôt, mais aussi musique universelle car elle parle à tous les cœurs, à tous les esprits, à toutes les âmes.

berry
Les petites heures de Jean Berry - BNF

En effet, une musique, qui par exemple, glorifie la Nativité traduit la joie du miracle de la naissance et de la vie. Et tout le monde peut s’identifier dans cette joie ressentie lors d’un tel évènement.

Le Messie "A child is born"
Haendel

crucifixion
Crucifixion - Emil Nolde

Une musique sacrée qui illustre la mort du Christ est une musique que nous pouvons entendre, entendre au sens de comprendre. Car la douleur causée par la disparition d’un être cher est une douleur que, hélas, nous partageons tous à un moment ou à un autre de notre vie.

Stabat Mater - Vivaldi

grunewald
Grünewald - Le retable d'Issenheim
La mort de l’autre, c’est aussi notre propre mort à venir, inéluctable. Aussi, quand ce moment fatidique arrive, le « Es ist vollbracht » (Tout est accompli) de la Passion selon Saint-Jean de J-S Bach sonne tel un glas comme s’il s’agissait de l’annonce de notre mort.

Passion selon Saint-Jean
"Es ist vollbracht"
Jean-Sébastien Bach

martin
Bach, que Albert Schweitzer appelait « le musicien-poète », a su mettre en musique tous les sentiments humains. Ainsi, la compassion, dans la cantate « Brich dem Hungrigen dein Brot’ » et son choral d’entrée :

« Partage ton pain avec celui qui a faim,
et les pauvres, mène-les dans ta maison.
Vêts celui que tu vois nu
Et ne te dérobe pas devant ta propre chair.
"

"Brich dem Hungrigen dein Brot"
Cantate BWV 39
Jean-Sébastien Bach

vitraux
Notre-Dame de Paris

Bach conclut ce choral par une fugue. Une fugue, c’est pour moi, une forêt de sons, une cathédrale de musique, un temple maçonnique. Chaque note est une pierre qui a sa place dans un grand édifice. Et quel édifice ! Quelle merveille de construction ! Et tout ceci pour la grande gloire de Dieu (Bach écrivait « Soli Deo Gloria » sur toutes ses partitions) ou pour la grande gloire de la Lumière, comme vous voudrez. Voici le texte de cette fugue :

"Alors la lumière poindra comme l’aurore,
Et ta guérison ne tardera pas
Et ta justice te précédera
Et la gloire du Seigneur te suivra »

"Brich dem Hungrigen dein Brot"
Cantate BWV 39
Jean-Sébastien Bach

« S’il y a quelqu’un qui doit tout à Bach, c’est bien Dieu » a dit Cioran.

Je ne peux pas vous faire entendre toutes les musiques qui enchantent mon âme. J’aurais voulu vous faire partager la tendresse d’une sonate en trio de Brahms, l’extase du « Jardin du sommeil d’amour » de Messiaen, la tristesse de l’Élégie de Fauré, la jubilation d’un divertimento de Mozart.

Une dernière musique tout de même pour conclure, celle du cosmos, de la voûte étoilée. Espaces infinis qui effrayaient Blaise Pascal et qui n’étaient que bonheur pour Arthur Rimbaud :

Je m’en allais, les poings dans mes poches crevées;
Mon paletot aussi devenait idéal ;
J’allais sous le ciel, Muse ! et j’étais ton féal ;
Oh ! là ! là ! que d’amours splendides j’ai rêvées !

Mon unique culotte avait un large trou.
- Petit-Poucet rêveur, j’égrenais dans ma course
Des rimes. Mon auberge était à la Grande Ourse.
- Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou


J'ai dit.


La nuit étoilée - Henri Dutilleux

lanuit
La Nuit Etoilée, le Rhône à Arles - Van Gogh